ALSACIENS AUX ETATS UNIS : LE REFLET DE L’HISTOIRE DES BORDS DU RHIN.
Conférence
du 1er Stammtable Alsace Etats-Unis,
le 9 juin 2010
par Monsieur Alain HOWILLER
Cette histoire pourrait commencer un 6 Février 1778, Place de la Concorde, à Paris, dans un hôtel particulier donnant sur un jardin bien entretenu. Benjamin Franklin, l’un des pères avec Jefferson et Adams de la Déclaration d’Indépendance, venu négocier une alliance franco-américaine, y arrive un peu claudiquant pour y rencontrer un jeune Ambassadeur de France avec lequel il signera le premier TraIté de Commerce et d’Amitié entre les futurs Etats Unis d’Amérique et le Royaume de France.
L’Ambassadeur de France - qui se retrouvera quelques semaines plus tard, à Philadelphie, premier représentant du Royaume de France auprès du peuple américain - a un nom à rallonge : il s’appelle Conrad Alexandre Gérard de Rayneval, plus communément appelé le Chevalier Gérard. Il arrivera à Philadelphie, le 12 Juillet. Ce qu’on sait moins c’est qu’il était Alsacien : originaire de Masevaux. Son arrivée à Philadelphie, son rôle illustrent assez bien la longue présence alsacienne sur le sol nord-américain où il avait été précédé par des centaines de familles alsaciennes qui , pour la plupart, avaient descendu le Rhin, au printemps, sur des radeaux de flottage de bois pour aller jusqu’à Rotterdam. Dans le port néerlandais ils vendaient le bois pour participer au financement du voyage en bateau vers la côte américaine où, affirmaient les agents recruteurs venus du continent américain, les attendait la « Terre Promise » !
Avec les « Mennonites » en « Terre Promise »
L’histoire de l’émigration alsacienne aux Etats Unis illustre assez bien, mais en creux, l’histoire de l’Alsace : à chaque menace de conflit, à chaque changement de statut, à chaque soubresaut de l’Histoire, sur les bords du Rhin, on voit partir des centaines parfois des milliers d’Alsaciens vers la « Terre Promise ».
Dès le XVIIème siècle la perspective, qui se concrétisera avec Louis XIV, d’un rattachement d’une Alsace où la «Réforme et le protestantisme» étaient bien ancrés, à une France catholique «Fille ainée de l’Eglise», avait provoqué les premières émigrations de familles protestantes. C’est ainsi que, aux XVII et XVIIIème. siècles, les premiers «mennonites» qu’on rebaptisera « Amish », par la suite, s’installent à New-York d’où un certain nombre de tracasseries autant que les promesses de William Penn, le fondateur (en 1681) de la Pennsylvanie, les chasseront. Ils passeront en Pennsylvanie où ils seront accueillis par le fondateur de l’état en personnne! Ils y fonderont le comté de Lancaster où existe un Strasburg et où on parle aujourd’hui encore ce qu’on appelle le «Pennsylvania dutsch» qui n’est pas autre chose qu’un dialecte alsacien ! Vous les avez du reste rencontré dans un film récent : ils y ont prononcé quelques mots de dialecte et ont évoqué l’un des 19 Strasbourg que j’ai pu compter aux Etats Unis. Le film –qui n’était pas un documentaire!- nous introduisait dans le monde des « Amish » : il s’agissait du film Witness de Peter Weir (1985), dont Harrison Ford - Monsieur Indiana Johns- était la vedette. Les mennonites, qui créeront aussi le comté de Montgommery (New-York) où existe un Colmar, venaient notamment des vallées de Sainte Marie aux Mines et de la Bruche : du reste dès 1646 Jacob Amann avait quitté, en éclaireur sa Vallée de Sainte Marie aux Mines pour s’installer dans le futur comté de Lancaster.
Dès cette époque on trouve des alsaciens à New-York, New Jersey, Pennsylvanie, Virginie, Kentucky, Ohio Massachusset, Michigan,I llinois, Indiana, Missouri. Une colonie protestante venue de Mulhouse a été recensée, dès 1748, en Virginie, dans la Vallée de Shenandoah où ses membres s’installèrent en refoulant les Indiens. L’un des membres de cette «colonie» sera député au Congrès (M.Linebarger).
Les Alsaciens à la bataille de Yorktown !
Mais revenons, un instant à l’épisode initié par le Chevalier Gérard. Deux ans après l’arrivée du Chevalier, la présence alsacienne prend une nouvelle tournure : le 10 Juillet 178O le Régiment Royal Deux Ponts débarque à Newport pour se mettre à la disposition du Lieutenant Général Rochambeau qui commande les troupes françaises participant aux côtés des Américains, à la lutte contre les troupes britanniques pour l’Indépendance des Etats-Unis. Le régiment est commandé par le Comte Christian de Forbach de Deux Ponts : il est composé de 1.4OO officiers et soldats essentiellement recrutés en Alsace par le Comte qui réside dans son Hôtel strasbourgeois, Place Broglie, dans ce qui est aujourd’hui l’Hôtel du Gouverneur militaire. Le régiment s‘illustrera à la bataille de Yorktown (19 Octobre 1781) qui verra la défaite des troupes britanniques. Compte tenu de la composition des forces en présence, il y aura, dans le camp «américain» plus de pertes françaises que de pertes américaines, lors de cette bataille décisive au cours de laquelle –d’après les archives- sur un groupe de 400 Alsaciens 46 périront et 200 seront blessés !
On trouvera trace des immigrants alsaciens tout au long des grandes «rendez-vous» de l’Histoire américaine. Un Alsacien au moins –un haut-rhinois Louis Haegy - participera à la bataille de Little Big Horn (Montana) au cours de laquelle les 700 hommes du célèbre 7ème de Cavalerie US, commandé par le général Georg Armstrong Custer – que les Indiens avaient baptisé "Cheveux Longs" – affronteront 2.500 guerriers – essentiellement Cheyennes et Sioux. Les guerriers faisaient partie d’un regroupement de tribus fort de 6.000 personnes (femmes, enfants et vieillards compris). C’était le 25 Juin 1876 : les Indiens étaient commandés par deux chefs prestigieux : Sitting Bull et Crazy Horse qui entrera dans le «dictionnaire des citations» par sa fameuse phrase : «Ceci est un beau jour pour mourir !». Il ne mourra pas, mais Custer et 268 de ses hommes périront ce jour là, lors de ce qui restera qui l’une des rares victoires indiennes. Aujourd’hui on trouve sur place un monument rappelant la bataille et le sacrifice de Custer (qui, en signe de respect pour son courage, ne sera pas scalpé).
De Georg Armstrong Custer à…Géronimo !
Un autre général célèbre – d’origine alsacienne cette fois - entrera dans l’Histoire après avoir combattu, au Nouveau Mexique, les tribus apaches conduites par un autre chef prestigieux : Géronimo. Il s’agit du général John Joseph Pershing qui remporteral, ors de la Première Guerre Mondiale, la bataille de Saint Mihiel (12 Septembre 1918) au cours de laquelle 300.000 soldats américains et 110.000 soldats français affronteront les troupes allemandes et signeront une victoire décisive pour le sort de la guerre. Le général descendait de Frederick Pfoerschin venu s’installer en 1724 en Pennsylvanie et qui « américanisera » son nom en Persching. Mais John Joseph Persching n’oubliera jamais ses origines et il dédiera la victoire de Saint Mihiel à l’Alsace, avec l’espoir qu’elle reviendra rapidement à sa mère-patrie : la France !
Dans un livre paru en 19OO et intitulé « Texas Indian Fighters », Nichalus Haby raconte comment, venu d’Alsace, après un voyage en mer de 121 jours, il débarque à Galveston, avec son frère John et de nombreux autres immigrants. Ils gagneront Port Lavaca puis San Antonio d’où ils rejoindront Castroville sur les bords de la rivière Medina, avec un convoi de 26 voitures et après avoir traversé la « Prairie ». Le fondateur de la nouvelle cité le comte portugais Henri Castro rejoint la colonie avec sa famille en « buggy ». Haby décrIt une sorte de « Terre Promise » riche « en daims, dindons, chevaux sauvages, ours ». Il racontera les conflits avec les Indiens Comanches contre lesquels il créera, aux côtés du « capitaine John Connor » les futurs « Texas Rangers ».
Castroville, célèbre aujourd’hui avec son appellation de « The Little Alsace of Texas » sera fondée officiellement le 3 Septembre 1844 avec l’arrivée du premier convoi de colons venus avec des boeufs et chariots, recrutés en Alsace. Les immigrants viendront par la suite majoritairement d’Alsace, mais aussi du Pays de Bade et d’autres contrées situées sur l’axe rhénan. Le comte, né à Bayonne dans une famille juive aisée dont les ancêtres avaient été chassés du Portugal par l’Inquisition, créera plusieurs villes aux Etats Unis et notamment la cité D’Hanis à quelques kilomètres de Castroville. Cette dernière – sur laquelle nous ne nous arrêterons pas grandement, tant est connue désormais son histoire- a renoué, depuis quelques dizaines d’années, des liens étroits avec « son Alsace natale » : elle est jumelée avec Eguisheim dans le Haut Rhin. Ses habitants ont « remonté » sur place - avec l’aide des élèves de l’école d’agriculture de Rouffach - une maison alsacienne à colombage qui avait été stockée à l’Ecomusée d’Ungersheim. On y a aussi aménagé un « jardin des souvenirs où ont été plantées les plantes typiques de l’Alsace et des Vosges. Des échanges ont lieu régulièrement avec Castroville dont de nombreux habitants pratiquent encore le dialecte). Certains d’entre eux sont venus en Alsace, recevant, en retour, des visiteurs venus d’Alsace. L‘auteur de la présente note est d’ailleurs depuis le 5 Mars 1969, citoyen d’honneur de Castroville (quelque 2.000 habitants) où il avait été accueilli par l’ancien maire Charles L.Suehs.
Aux pieds de la statue de la Liberté.
Du reste Castroville entretient non seulement des liens avec l’Alsace, elle s’efforce aussi de promouvoir des contacts avec d’autres « cités alsaciennes » aux Etats Unis » et avec l’Union des Alsaciens à l’étranger. La rencontre qui eut lieu en Octobre 2002, aux pieds de la Statue de la Liberté (œuvre du colmarien Auguste Bartholdi comme on le sait)à New-York entre les représentants de Castroville ,ceux de l’Union Alsacienne de New York (qui fut à l’initiative de cette rencontre mais dont l’idée avait été lancée lors d’une manifestation dans la cité Texane),ceux d’une « little Alsace » fondée le 14 Juillet de la même année dans l’Ohio et ceux de l’Union des Alsaciens à l’étranger. L’ancien Président de la Région Alsace, Adrien Zeller, décédé en 2009,et l’ancien Président de l’Union des Alsaciens, François Brunagel, étaient présents à New-York. Les quatre partenaires lancèrent à cette occasion l’idée de la création d’une fondation qui pourrait récolter des fonds pour aider au maintien de « l’alsacianité » à travers le monde : elle interviendra, par exemple, pour plusieurs milliers de dollars, dans une école bilingue de…. Bindernheim (Bas Rhin). Les partenaires signeront, aussi une « Liberty Island Declaration » en faveur du maintien et du développement du dialecte alsacien. L’Amicale des Alsaciens du Québec s’associera, elle aussi , à la « Déclaration » !
Sans doute est-ce l’occasion d’évoquer l’existence de l’Union Alsacienne de New York, reflet de l’un de ces évènements qui avec les menaces sur la liberté religieuse, la misère, le goût de l’aventure et… les changements de nationalité ont contribué à nourrir l’émigration vers les Etats Unis. L’Union Alsacienne,en effet,a été créée le 19 Février 1871 par cinq Alsaciens : Arbogast Adam, Edward Merklen, Georges Kumpf, Emile Hirlé et Francis A.Schilliing. Ils ont fondé l’association –elle aussi, bien connue désormais en Alsace- pour offrir une aide (y compris matérielle), un cadre d’accueil et des secours aux Alsaciens et Lorrains chassés de Leur région par la défaite et l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. C’était au départ une sorte de mutuelle, de caisse de secours et d’assurance à la disposition de ses membres. L’évolution de la société fait que l’association– qui est la plus ancienne association alsacienne créée à l’étranger- privilégie aujourd’hui son rôle d’accueil, de contacts pour les Alsaciens établis ou arrivant à New-York. C’est aussi une sorte d’ambassade des Alsaciens en terre américaine dans ce qui reste la principale porte d’accès aux Etats Unis !
Un Strasbourg en Crimée au temps des Tsars !
C’est d’ailleurs à l’occasion de la rencontre d’Octobre aux pieds de « Miss Liberty éclairant le monde » qu’on a découvert une nouvelle cité alsacienne située, elle, dans le Dakota du Nord où, d’après Thierry Krantzer de l’Union Alsacienne de New York, un Strasbourg a été fondé en 1904 par des alsaciens venus de « Strassburg en Crimée ». Ces Alsaciens-là (dont les descendants parlent toujours le dialecte) étaient venus en Russie, comme des milliers d’autres compatriotes, à l’appel de Catherine II, appelée Catherine « La Grande » (1729-1796). Cette dernière était soucieuse de développer l’Ukraine et la Crimée grâce à l’immigration. Une partie d’entre ces « appelés de l’infortune » sont revenus en Alsace après la Deuxième Guerre Mondiale : ils avaient été, eux aussi, attirés par la Tsarine et s’établiront au Banat (région partagée par la suite entre la Roumanie, l’ex Yougoslavie et la Hongrie). A leur retour en Alsace, on les appelait les « Banatais alsaciens ». A propos du Strasbourg en Dakota, rappelons qu’on a découvert à l’occasion du retour en Allemagne des descendants de ce qu’on a appelé les « Volga Deutsche » (les Allemands du Bassin de la Volga attirés eux aussi par la Grande Catherine) de nombreux Colmar ou Strasbourg créées par des Alsaciens, mais classées par les autorités russes comme « villes allemandes ».
Une confusion qu’on retrouve parfois aux Etats Unis et qui a longtemps pesé sur le recensement des cités d’origine alsacienne. En dehors de celles dont nous avons déjà parlé, ces villes seront nombreuses aux Etats Unis. Dans l’Illinois, par exemple, existent plusieurs Strasbourg et Colmar : dans le comté de La Salle, la ville de Serena a été fondée en 1842 par des immigrants francophones du Ban de La Roche (on y parle toujours « welsche »). La petite ville de Woolstock a été créé en 188O dans l’Iowa par des Alsaciens. On trouve New Hombourg dans le Missouri. A Colombus (Ohio) des émules du Pasteur Oberlin ont créé en 1844 la première université ouverte aux femmes. Des Alsaciens se sont établis dans le Montana. C’étaient pour la plupart des immigrants fermiers dont les noms –ou plutôt ceux de leurs descendants- se retrouve assez souvent dans l’Histoire contemporaine. Prenons quelques exemples avant de conclure sur un nom prestigieux dont vous aurez la surprise !
Un « avionneur » mulhousien
Les usines d’aviation Boeing à Seattle (Etat de Washington) ont été fondées par bun certain Wilhelm Boïng qui transformera son nom : allemand d’origine, il s’installera dans la région mulhousienne où il créera la Filature de Dornach et une éphémère usine d’aviation « Aviatik ». Cette dernière sera victime de la Première Guerre Mondiale. Les premières productions de Seattle intègreront des pièces venues de Mulhouse ! Et puisque nous sommes à Mulhouse, profitons –en pour rappeler que William Wyler (né Weiler), réalisateur et producteur de Ben Hur, de Vacances Romaines et tant d’autres films est né le 1er. Juillet 1902 dans la capitale économique haut-rhinoise. Que les frères Marx des fameux « Marx Brothers » sont originaires de Schiltigheim (Bas Rhin) où leur père était tailleur. Plus près de nous, la famille de Marlon Brando (son vrai nom est Brandeau) est originaire de Haguenau (Bas-Rhin), selon le général « e.r. » Jacques Paul Klein (né lui, à Sélestat le 9 Janvier 1939 et qui quittera l’Alsace en 1946 pour les Etats Unis). Le chanteur Bob Dylan est né Robert Zimmermann, d’Alsace bien sûr ! Russel Schweickart, pilote du module lunaire de la mission Apollo 9 (Mars 1969), qui devait tester les éléments du futur alunissage, était d’origine alsacienne : sa famille est de Lembach (Bas Rhin) où il de rendra après sa mission. Le général Klein attirera encore notre attention sur le basketteur Rod Courier, l’alsacien des grandes compétitions de basket-ball des années cinquante et sur le Lieutenant Colonel Edouard Izac, né dans l’Iowa d’une famille alsacienne et décédé en…199O : il sera député démocrate de Californie après avoir servi dans la marine (sous-marins). Il dirigera aussi ,en avril 1945, une mission sur les camps de concentration de Buchenwald, Dachau et Dora.
….le Président Obama, l’Alsacien !....
Nous voici arrivés au terme de notre trop court voyage à travers l’immigration alsacienne aux Etats Unis. Il me reste, comme promis, à vous, soumettre un dernier exemple, cerise sur le gâteau de ce parcours. En 1722, un certain Christian Gutknecht quitte Bischwiller (Bas Rhin). II a 24 ans. Sa femme née Marie-Madeleine Grünholtz qu’il avait épousé trois ans plus tôt, l’accompagne. Le couple arrive dans ce qui seront les Etats-Unis, le 13 Septembre 174O et s’installe en….Pennsylvanie ! Christian Gutknecht devient (en passant de « knecht » en « knight », il prend du galon !) Christian Goodknight ! Il décédera le 26 Décembre 1795 à… Germantown! Les descendants du couple s’installeront en Virginie, puis dans l’Indiana, au Kansas, enfin, où six générations plus tard naîtra - en 1942- la jeune Stanley Ann Dunham…Il s’agit, ni plus ni moins de la future mère du…. Président Obama ! (1)
Alain HOWILLER, Conférence lors du 1er Stammtable Alsace-Etats-Unis, le 9 juin 2010
(1)Recherches généalogiques menées par William Adams Reitwiesner, pour le journal « Die Zeit »)